Le système de santé se porte mal aux États-Unis, un des pays les plus touchés par la crise du Covid-19. Les hôpitaux pourraient perdre
plus de 320 milliards de dollars cette année. Paradoxe: alors que
certains sont débordés dans les zones où la pandémie sévit, d’autres établissements
font pénalisés par le manque de patients. Par Ariane Gaffuri.
La flambée des cas de coronavirus continue aux États-Unis. Le pays,
le plus endeuillé du monde,devant le Brésil et l’Inde, avec plus de 131
521 morts, a franchi le cap des 3 millions de personnes contaminées par
le coronavirus : 3 009 611, selon le dernier bilan de l’Université Johns
Hopkins de ce mercredi 8 juillet. Entre les hôpitaux saturés dans les
États les plus touchés par le Covid-19,
comme le Texas, l’Arizona, la Floride, et ceux des zones moins
éprouvées, qui manquent de patients, le système hospitalier est mis à
rude épreuve. Il pourrait perdre plus de 320 milliards de dollars en
2020, selon l’American Hospital Association.
Un nombre de patients en déclin dans certaines zones
Le coronavirus a aggravé une situation qui était déjà détériorée. « Avant
la pandémie, les hôpitaux aux États-Unis avaient déjà des problèmes de
remboursement de soins et un nombre de patients en déclin. Quarante-deux
d’entre eux ont dû fermer ou déposer le bilan », affirme Meghan
Fitzgerald, professeur à l’université Colombia Mailman pour la santé
publique à New-York. Avec le coronavirus, 100 nouveaux hôpitaux ont
fermé leurs portes. « C’est parce qu’ils ont dû annuler les chirurgies non urgentes », comme les chirurgies du genou, de la hanche ou du cœur qui représentent 48 % de leurs revenus.
Parallèlement, le gouvernent a demandé aux hôpitaux de se concentrer sur l’accueil de patients atteints du Covid-19. « Il leur a fallu investir massivement en équipements, médicaments et en personnel » pour se préparer à accueillir ces malades. « Donc vous avez à la fois des revenus en baisse et des dépenses en hausse. Un cocktail dangereux »,
poursuit Meghan Fitzgerald. Même la célèbre Mayo Clinic qui rassemble
23 hôpitaux ou centres de recherches sur le territoire risque de perdre,
à elle seule, 3 milliards de dollars en 2020.« Le problème, c’est,
qu’à l’exception de New York ou des villes éprouvées par le virus, la
montée en flèche de la pandémie n’a pas eu lieu. Les patients ne sont
pas venus et les hôpitaux se sont retrouvés sans activité. »
Entre mars et mai donc, il y a eu entre 40% et 70% de patients en moins dans les hôpitaux. « Il
y a aussi le fait que de nombreux patients évitent les hôpitaux de peur
de contracter le virus. Entre les hôpitaux qui n’ont plus assez de
patients, ceux qui sont submergés, tout cela conjugué est un véritable
séisme pour les hôpitaux sur le plan financier », souligne Andy Miller, rédacteur en chef du site d’information indépendant Georgia Health News, spécialisé dans la santé.
Dépenses de santé en hausse depuis 2018
Les
dépenses de santé de la première puissance mondiale sont en hausse.
Elles ont atteint 3,6 milliards de dollars en 2018, soit plus de 11 000
dollars par personne. Ces dépenses représentent 17,7 % du produit
intérieur brut, selon les CMS, Centers for Medicare et Medicaid
Services, l’équivalent aux USA de la sécu en France.
Il y a, au
total, 6 140 hôpitaux aux États-Unis, et 328 millions d’habitants. Plus
de 5 000 sont des hôpitaux communautaires de plus de 900 000 lits. 965
sont des structures fédérales. Les 142 hôpitaux à l’arrêt ou en
redressement judiciaire, évoqués par Meghan Fitzgerald, représentent un
peu plus de 2% d’entre eux.
Les plus vulnérables sont les hôpitaux
des régions rurales. Ils ont perdu 50 milliards de dollars chaque mois,
selon l’American Hospital Association. Leur fermeture éventuelle serait
« catastrophique » pour leurs habitants, sachant qu’ils ont déjà du mal à accéder aux soins.
Dans
ce contexte, les personnels hospitaliers, qui comme ailleurs dans le
monde ont été applaudit avec ferveur pour leur courage au plus fort de
la crise, ont été mis à l’arrêt aussi. 134 000 d’entre eux ont perdu
leur travail en avril par exemple.
Des hôpitaux saturés dans les zones éprouvées par le virus
Après
une stabilisation de la pandémie sur la côte Est, notamment à New York,
le pays connaît depuis quelques semaines une explosion des infections
dans le Sud et l'Ouest. Avec plus de 60 000 nouveaux cas en 24 heures,
les hôpitaux dans ces régions sont pour certains arrivés à saturation,
et risquent de ne plus pouvoir accueillir de patients.
« Le
risque lorsque les hôpitaux sont saturés, c’est que nous devons mettre
en place des normes de soins de crise : nous devons trier et rationner
les ressources rares comme les lits de soins intensifs, les
ventilateurs… Et nous tenons à éviter cela, explique le Dr. Thomas
Tsaï, chirurgien à Boston, dans le Massachussetts et Assistant
professeur pour le Département des politiques et de la gestion de la
santé à Havard. Mais vu la rapidité avec laquelle le virus se
propage dans certaines zones, il faudra peut-être recourir à ce type de
prise en charge de crise. »
Un système de santé globalement fragile
Ces
hôpitaux bondés doivent s’approvisionner en masques, gants, lunettes de
protection, en ventilateurs, et autres équipements qui se raréfient et
sont très coûteux. Ils doivent aussi soigner des patients qui n’ont pas
toujours de couverture sociale. Contrairement à la France, il n'existe pas de sécurité sociale universelle ou garantie. La santé est décentralisée et le système ne couvre pas l'ensemble de la population.
Les hôpitaux sont financés par les revenus des soins des patients, soins qui sont remboursés par les compagnies d’assurance. « Certaines
compagnies sont publiques, comme Medicare or Medicaid, d’autres sont
des assurances privées contractées par les employeurs ou par les
individus à titre personnel. Les hôpitaux ne sont pas financés
directement par le gouvernement à moins qu’ils ne soient publics », indique le Dr. Thomas Tsaï.
« Un des plus grands problèmes du système de santé américain c’est qu’il y des millions de gens qui n’ont pas d’assurance santé, dit Andy Miller. Lorsque
ces personnes qui ont des revenus très bas, vont à l’hôpital pour se
faire soigner du coronavirus, elles n’ont pas les moyens de payer des
soins qui coûtent parfois des milliers de dollars. C’est le cas à
Altanta et ailleurs. Dans l’État de Georgie, 30 % de la population n’a
pas de sécurité sociale. Ce sont des revenus en moins pour les hôpitaux. »
Pour ne rien arranger, le système d’assurance santé s’est détérioré sous l’administration Trump. « Nous
avions fait des progrès pour mieux protéger les patients grâce à
l’Obamacare, la Loi sur la Protection des Patients et les Soins
Abordables, mais ces progrès ont ralenti ces dernières années et de
moins en moins de gens sont assurés, regrette Thomas Tsaï. Et
quand l’assurance est reliée à l’emploi, si vous perdez votre travail,
comme cela a été le cas ces derniers mois pour un grand nombre de
personnes, vous perdez aussi votre assurance maladie et vous n’êtes plus
couvert. C’est une double peine. »
«Une gouvernance défaillante»
Le
gouvernement est venu au secours des hôpitaux, soit par des aides
directes, soit au travers de plans d’aide aux entreprises, comme le PPP,
le Pay Check Protection Programme, des prêts d’environ 5 millions de
dollars, transformables en subventions, si l’entreprise maintient les
trois quarts des emplois.
Pour Andy Miller, ce n’est pas là où le bât blesse. « Le
gouvernent a aidé financièrement [ … ], donc ce n’est pas le problème.
C’est un problème de message. Comme le dit l’immunologiste Antony Faucy,
nous sommes dans la première phase de l’épidémie. Il faut qu’il y ait
un message fort. Il faut que les gens respectent la distanciation
sociale, portent des masques, se lavent les mains dans les restaurants,
les discothèques, etc. ». Quitte à « peut-être imposer des restrictions plus fermes » pour obliger les plus récalcitrants à la vigilance.
« Cela me navre de constater que nous avons de plus en plus de cas de Covid-19 alors que le monde en a de moins en moins », déplore Andy Miller, patron du journal Georgia Heatlh News.
« De nombreux experts de santé publique pensent que le
gouvernement fédéral n’a pas été capable de mettre en place une
stratégie cohérente pour prévenir et gérer la pandémie », dénonce
Thomas Thaï. Au lieu d’adopter une approche unifiée de la crise, de
mutualiser l’approvisionnement des équipements, des tests de dépistage à
l’échelle nationale, « le gouvernement a créé un système de gestion en patchwork ».
Par conséquent, la pandémie se répand dans les 50 États du pays et une
multitude de comtés avec une intensité et une prise en charge
différente. « On ne peut pas, dans ces conditions, répondre à la crise de façon cohérente. »
Du
coup, conclut-il, les élus locaux, les gouverneurs et les maires sont
montés au créneau justement pour pallier à ce manque de gouvernance au
niveau fédéral.
Légende photo :
Le Lieutenant Natasha McClinton, infirmière en chirurgie, prépare un patient aux service de soins intensifs, à bord de l'hôpital du navire américain USNS Comfort. (Droit d'auteur : Wikipedia/ Domaine public)
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